IMAGE ET LETTRE, L'INTÉGRATION DE LA FIGURATION DANS LA TYPOGRAPHIE

INTRODUCTION

Qu’est ce qu’une image ? En s’appuyant sur sa définition, une image, du latin imago « image artistique », est une représentation ou réplique, perceptible d’un être ou d’une chose. D’après Martine Joly, l’image est devenue synonyme de « représentation visuelle ».[1] En effet, au premier abord, quand il est question d’image, on se rapporte notamment à une représentation perceptible d’une chose, d’un objet, ses images donnent alors à voir des signes réels et/ou abstraits. Charles Sanders Peirce, va faire rentrer l’image comme une sous-catégorie de l’icône dans sa classification des signes. Quant à elle, la lettre est un caractère typographique, qui, employée seule ou en combinaison avec d’autres, permet de transcrire le son des voyelles et des consonnes d’une langue. L’ensemble de ses caractères constitue alors un alphabet. La lettre peut avoir un lien direct avec l’image, en mettant en jeu la figuration d’une lettre. La figuration est le fait de susciter à l’esprit l’image de quelque chose ou son résultat, objet concret qui constitue la représentation typique d’un élément, par l’effet d’une analogie de nature ou de valeur.

Les écritures alphabétiques, sont celles dont les signes figuratifs originels se sont transformés, au cours des siècles, en signes purement phonétiques. Leurs tracés ont alors subi au cours de ce processus une simplification extrême. Dans notre alphabet latin ce phénomène se manifeste clairement. Au commencement, un signe figuratif primitif (hiéroglyphe) représentant une tête de bœuf (« aleph »), a subi une évolution, les traits les plus significatifs de l’image sont abandonnés, tout en se transformant en la lettre « A » ( phonogramme ). Cependant, nous pouvons prendre comme exemple, l’écriture égyptienne qui est restée figurative, malgré le développement de l’alphabet dans le bassin méditerranéen. En quoi l’image peut-elle déterminer la fabrication des lettres ?

[1] Martine JOLY, Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin, 2000

L’usage de la figuration

La lettre grâce aux images

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Pour commencer, dans les manuscrits médiévaux, nous pouvons trouver des lettres enluminées dans lesquelles on a tenté de rapprocher image et lettre. Ce jeu qui consiste à réunir un caractères typographique et la représentation d’un objet ou d’un être vivant, a amené un grand nombre d’illustrateur, de graphistes, de typographes,... à créer des alphabets figuratifs. La plupart de ces alphabets produisent un effet humoristique ou caricatural, ce qui est dû à l’opposition entre la lettre, réalité sérieuse, et les figures qui ont été distordues et déformées pour se soumettre à la forme du caractère.
Cependant, ces deux aspects en opposition, ne forment qu’un quant à la fabrication de ses caractères. Cela est notamment présent, dans l’alphabet de Roman Cieslewicz pour le Guide de la France mystérieuse datant de 1964. fig.1 Ces lettres ont été fabriquées dans le but d’être utilisées comme intercalaires dans ce dictionnaire. Il rassemblent des noms de lieux étranges et de monuments aux histoires macabres. De plus, ces lettres on été imprimées en rouge dans un cadre noir, ce qui rejoint l’atmosphère gothique de ce livre. Les images utilisées sont des parties tirées de gravures anciennes, la combinaison de ses images pour chaque lettre produit un effet sculptural. Cet alphabet donne l’impression que les lettres appartiennent à un monde fantastique et surréaliste. Cependant, aucune exagération de déformation n’est employer dans cet alphabet, chaque partie combinée à une autre construit la lettre sans démesure. Dans cet alphabet, l’image occupe l’intégralité des caractères.
Toutefois, certaine typographies figuratives gardent la lettre comme base de construction et des images viennent s’y ajouter. C’est le cas des caractères typographiques, Infiny de Sandrine Nugue datant de 2014. fig.2 Ces pictogrammes et ces dessins de caractère inspirés des capitales romaines donnent une synthèse d’une petite forme avec le plus d’information possible. Sandrine Nugue à voulu « porter l’attention sur le signe » [2] en créant des pictogrammes, qui au lieu de se cacher derrière le sens, le portent et le deviennent directement.

[2]Sandrine NUGUE, https://www.cnap.fr/sites/infini/presentation#Videos

L’image-icône/indice et les signes iconiques

fig.3

Charles Sanders Peirce montre dans ses écrits son intérêt pour la représentation graphique. Au début du XXe siècle, il décrit une logique des icônes en classant les signes en fonction de la relation qu’ils entretiennent avec leur objet. Il décrit les trois modes de la représentation d’un signe : l’icône, l’indice et le symbole. D’après lui, « L’icône correspond à la classe des signes dont le signifiant entretient une relation d’analogie avec ce qu’il représente, c’est-à-dire avec son référent. » Par exemple, un dessin figuratif, une photographie, une image de synthèse représentant un arbre ou une maison sont des icônes dans la mesure où ils « ressemblent » à un arbre ou à une maison, il est donc question de reconnaissance. D’après Martine Joly « ce qu’on appelle image est hétérogène, c’est-à-dire qu’elle ressemble et coordonne, au sein d’un cadre, différentes catégories de signes : des images au sens théorique du terme (des signes iconiques) ». Par ailleurs, l’indice correspond « à la classe des signes qui entretiennent avec ce qu’ils représentent une relation causale de contiguïté physique », c’est-à-dire qu’il ne représente pas directement l’objet, il en est la manifestation. À titre d’exemple, la fumée est l’indice du feu, des feuilles qui bougent sont la manifestation du vent, le nuage pour la pluie,...
De plus, en 1971, Abraham Moles définit douze degrés d’iconicité. Cette échelle hiérarchise les différents signes du degré d’analogie du plus fort au plus abstrait. Elle permet alors de mesurer l’écart entre le réel et sa représentation. Plus le degré d’iconicité est élevé plus la représentation du signe et proche de son référent.
De 1945 à 1946, Picasso met en œuvre une étude, fig.3 sur la déconstruction et la simplification d’une représentation réaliste (illustration) parvenir à un symbole d’un taureau. Cette démarche démontrent l’évolution d’une image, cela peut se rapporter au hiéroglyphe (« aleph »).

L’intérêt du corps humain dans la typographie

fig.4

fig.5

fig.6

Les lettres de notre alphabet sont placées sur une ligne imaginaire, comme les pieds sont posés sur le sol, c’est pourquoi on leur à donné une terminaison horizontale que l’on nomme « empattements ». Le corps humain est notamment présents dans de nombreuses typographies figuratives.
Tout d’abord, Geoffroy Tory rend hommage à l’architecte romain Vitruve, qui, s’attacha à déterminer par la géométrie les proportions du corps humain, grâce à son alphabet dans Le Champ Fleury datant de 1520. fig.4 Elle repose sur les modèles architecturaux de Léonard De Vinci et de Albrecht Dürer, respectant les volumes et les perspectives. Les vingt-trois lettres que compte l’alphabet de son temps repose autour du « O » central. Il démontre que toutes les lettres de l’alphabet latin peuvent être réduites aux proportions du visage et du corps humain. Celle-ci s’implante et se déploie dans un espace donné lui-même en mouvement. Geoffroy Tory, a imaginé « l’homme-lettre » dans une allégorie qui tire sa source de la mythologie et de l’ésotérisme. Dans les deux cas, l’homme joue le rôle d’un support pour la lettre.
C’est aussi le cas dans the alphabet de m/m (paris), Mathias Augustyniak et Michael Amzalag datant de 2001. Chaque lettre dispose de son image photographiée par Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin. fig.5 Les photographies sont prises avec une variation de poses et d’expression, qui peuvent être à la fois élégantes comme obscures. Ces lettres sont fabriquées grâce aux procédés du copier-coller, les photographies sont découpées, pour créer le format de la lettre requis. Les ombres et les lignes existantes dans les photographies sont utilisées comme base de création des formes des lettres. Cet alphabet est alors construit grâce à l’image. De plus, les caractères typographiques Human Type crées par Beatrix Gevigney, en 2015. fig.6 S’inscrive dans une démarche similaire à celle mis en œuvre par m/m Paris. Beatrix Gevigney a voulu montrer les expressions du visage face à des émotions correspondant aux lettres de l’alphabet. Lorsque le sujet s’anime, la lettre peinte sur la base de l’Helvetica se plie en fonction des traits du visage et elle ressort marquée d’une empreinte émotionnelle et humaine. Elle s’est appuyée sur une citation de Victor Hugo : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Dans ces deux typographies ce n’est pas le corps qui subit une déformation mais bel est bien l’image qui est déformée, cela donne alors aux lettres des caractéristiques uniques. En revanche, il existe des typographies qui jouent sur la déformation du corps pour suivre les courbes et les lignes de base d’une lettre. C’est ainsi que, Honoré Victorin Daumier met en jeu lettre et image, avec L’alphabet comique de 1846. Il est question d’une représentation du corps humain en mouvement, avec des corps déformés, dans un monde renversé, où la gravité est parfois abandonnée, cela donne un jeu tout aussi ludique que drolatique à cet alphabet. Cette typographie est similaire à celle utilisée pour les grands titres de presse pour Le Charivari Monstres du 31 juillet 1835 de Grandville. fig.8 Le titre devient alors image et se place dans le format comme ses dessins caricaturaux. Ce titre, occupe alors la même signification que ce qui, au premier coup d’œil sont des images. La dimension de figuration est présente dans une typographie lorsque que les lettres sont formées grâce à ces personnifications et parfois à la combinaisons d’images,d’ illustrations, de signes...

La trace et le symbole

La transmission d’image dans la lettre grâce à la trace

fig.9

fig.10

Dans Introduction à l’analyse de l’image, Martine Joly confronte le terme « d’images fabriquées » et celui « d’images enregistrées », pour elle « Les images fabriquées imitent plus ou moins correctement un modèle [...] leur performance majeure est alors d’imiter avec tant de perfection qu’elles peuvent devenir "virtuelles" et donner l’illusion de la réalité même, sans l’être pour autant. Elles sont alors de parfaits analogons du réel. Des icônes parfaites. » Tandis que « Les images enregistrées ressemblent le plus souvent à ce qu’elles représentent. La photographie, la vidéo, le film sont considérés comme des images parfaitement ressemblantes, de pures icônes, d’autant plus fiables qu’elles sont des enregistrements faits ». Ainsi « Ce qui distingue donc ces images-là des images fabriquées, c’est qu’elles sont des traces. En théorie, ce sont des indices avant d’être des icones. » Dans la typographie, certaines restent seulement à la phase d’expérimentation, mais provoque et représente une chose en l’absence d’une figuration de la lettre. Cette étape de création, garde la trace de toutes idées et d’essais graphiques.C’est ainsi, que l’expérimentation typographique Blue Plastic Cup Font de Sveta Sebyakina datant de 2009 fig.9 met en œuvre, le passage d’un objet peu ordinaire dans le domaine du dessin de caractères (un gobelet) dans le but de créer des lettres. Le geste est le point phare dans cet essai, ces lettres possèdent une certaine expressivité.Cela ne serait sans compter sur les travaux de l’artiste italien Filippo Tommaso Marinetti qui, aborde une certaine libération de la lettres que l’on peut trouver dans Les Mots en liberté futuristes datant de 1919. fig.10 Le livre contient une variété créative et ingénieuse de polices de caractères, de calligraphies, et de mises en pages dynamiques. Dans ce livre quatres planches typographiques, présentent la place des « mots en liberté » et des lettres semble aléatoire, aucun alignement n’est visible. Ces lettres et mots, entremêlés, mélangés, superposés et déformés donnent à voir une image faite uniquement d’éléments typographiques. Dans ces conditions, Il ne faut pas oublier, que si toute image est représentation, cela implique qu’elle utilise nécessairement des règles de construction. Si ces représentations sont comprises par d’autres que ceux qui les fabriquent, c’est qu’il y a entre elles un minimum de convention socioculturelles, autrement dit qu’elle doivent une grande part de leur signification à leur aspect de symbole, selon Charles Sanders Peirce.

L’image symbole

fig.9

Tout d’abord, il est nécessaire de se questionner sur la symbolique ? D’après Adrian Frutiger, « le symbolisme d’une image est une valeur inexprimée, un trait d’union entre la réalité identifiable et le domaine invisible et mystique de la religion, de la philosophie et de la magie. Il s’étend donc de l’intellect, conscient, au domaine du subconscient. On peut donc dire que l’artiste ou l’artisan est un médiateur entre deux mondes, visibles et invisibles » En conséquent, la notion de symbole correspond à la classe des signes qui entretiennent avec leur référent une relation de convention d’après Charles Sanders Peirce. Par exemple, nous pouvons comprendre l’image d’une colombe comme l’image de la « paix », tout comme nous pouvons n’y voir que l’image d’une colombe. Les images symboliques et conventionnelles, expriment des notions abstraites. Ainsi, amour, beauté, liberté, paix,... autant de notions qui font appel au symbole et, par conséquent, à la bonne volonté interprétative du lecteur. C’est le cas des « Vanités », fig.11 en effet ces peintures, hautement symboliques, étaient intensément réalistes. Malgré l’émerveillement qu’elles provoquent, nous ne savons plus lire ces tableaux commes ils étaient lus au XVe et au XVIe siècle. En conséquence, l’image-symbole requiert une mise à distance. Elle possède alors une valeur sociologique.

Les signes plastiques

fig.12

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La distinction théorique entre signes plastiques et signes iconiques remonte aux années 1980, lorsque le groupe Mu, en particulier, à réussi à démontrer que les éléments plastiques des images : couleurs, formes, composition, texture, étaient des signes pleins et à part entière et non la simple matière d’expression des signes iconiques (figuratifs). Une grande part de la signification des messages visuels est déterminée par les choix plastiques et non pas uniquement par les signes iconiques analogiques, bien que le fonctionnement de ses deux catégories de signes soit complémentaire. Fanette Mellier porte une grande importance à l’utilisation de ses signes plastiques, notamment dans l’édition Bastard battle de l’auteure Céline Minard datant de 2008 fig.12 Il est question, que le texte de chaque double page soit « incarné », en intervenant sur la matière typographique, à partir du centre des doubles pages. Le texte subit des mutations qui suivent le rythme du récit, par le biais de modifications des trois couches colorées et en introduisant des variations typographiques, plastiques et colorées liée au sens du récit. Parmi les signes plastiques, il est possible de distinguer deux types : ceux qui renvoient directement à l’expérience perceptive, et ne sont pas spécifiques à l’image : les couleurs, l’éclairage, ou la texture et ceux qui sont spécifiques à la représentation visuelle et à son caractère conventionnel tel que le cadrage. Les règles de fonctionnement des signes plastiques sont souples et changeantes, elles peuvent changer suivant chaque image et notamment donner lieu à des interprétations

CONCLUSION

Pour conclure, les images joue un rôle prépondèrent dans la fabrication des lettres, plus particulièrement quant-il s’agit d’alphabet figuratif. Les lettres de ces alphabets, sont construites grâce au croisement entre lettre et objet. Cette figuration a pour but de donner corps et vie au lettres, ces lettres peuvent alors transmettre des “images”. Cela renvoie, à l’image-icône qui à pour but de ressembler à son référent, on peut alors lui rapporter à un autre terme : le signe iconique. Les lettres peuvent aussi, sans nul doute, être le sujet même de la création. Par conséquent, les images ont deux fonctions : jouer le rôle d’élément ou d’objet dans le but de la création des lettres, et dans un second temps produire du sens et véhiculer des signes. Dès lors, si toute images représente une chose, un objet, un sens… Elles doivent une grande part de leur signification à leur aspect de symbole.